L'alcool à la barre: responsabilité et assistance

Deux affaires correctionnelles récentes confirment que les personnes qui, d’une façon ou d’une autre, ont une part de responsabilité dans le décès d’une personne en état d’ébriété risquent de lourdes sanctions pénales.

Première affaire, le cafetier de Valenciennes

Sommaire
  1. - Première affaire, le cafetier de Valenciennes

  2. - La condamnation du cafetier

  3. - La relaxe des deux amis

  4. - Deuxième affaire: les policiers nantais

  5. - Des décisions responsabilisantes

  6. - Son client meurt après avoir trop bu.

    1. - L'homme sera retrouvé mort le lendemain matin.


2  Verres
Les faits de cette affaire, largement commentée dans la presse, sont les suivants.
La victime s’était rendue avec deux amis dans un bar et avait commencé par y consommer quelques bières.
Puis, à la suite de diverses provocations et de paris avec le cafetier, la victime avait fini par boire la purge du fût de bière et plusieurs verres d’un mélange de plusieurs alcools forts.
La victime était alors raccompagnée chez elle par ses amis, dans un état d’ébriété avancé et était retrouvée morte le lendemain chez elle, avec près de 5,1 g d’alcool par litre de sang.
Trois personnes furent poursuivies devant le tribunal correctionnel : le cafetier, pour homicide involontaire, et les deux amis, pour non assistance à personne en péril.

La condamnation du cafetier


Dans sa décision du 20 février dernier, le tribunal a condamné le cafetier à une peine de 2 ans de prison, dont 1 an ferme, pour homicide involontaire.
Si elle est particulièrement sévère, cette décision semble bien s’expliquer au plan juridique.
En effet, en matière d’homicide involontaire, la loi prévoit que : «le fait de causer (…) par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende.»

Précisions que lorsque cette infraction est commise par une personne physique qui est auteur indirect du dommage, la loi fixe une condition supplémentaire, prévue à l’article 121-3 du code pénal : «(…) les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.»

En d’autres termes, pour que la responsabilité du cafetier, personne physique auteur indirect de l’homicide involontaire, puisse être retenue, il devait être démontré :

  • soit que le cafetier avait commis une «faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer»
  • soit qu’il avait «violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement».


Selon les informations dont je dispose, c’est bien cette violation manifestement délibérée de la règlementation qui lui a été reprochée.

En effet, le code de la santé publique (Article R3353-2) sanctionne pénalement : «le fait pour les débitants de boissons de donner à boire à des gens manifestement ivres ou de les recevoir dans leurs établissements (…)».

Le cafetier a apparemment bel et bien violé cette obligation règlementaire de sécurité, qui fait d’ailleurs fréquemment l’objet de sanctions pénales, en dehors de tout décès de client.

Mais pour que le délit d’homicide involontaire soit constitué, encore fallait-il que cette violation ait été faite de façon manifestement délibérée, c’est-à-dire en ayant conscience de l’interdiction et en ayant clairement l’intention de passer outre.
Cette appréciation de la situation est une stricte question de fait, laissée à l’appréciation souveraine des juges.
Mais si le cafetier avait pu démontrer que rien ne permettait de savoir que son client était ivre, il aurait probablement été relaxé…
Une telle démonstration devait donc être assez délicate à faire en l’espèce...

La relaxe des deux amis

Les deux amis qui ont raccompagné la victime ont été relaxés des poursuites pour non assistance à personne en péril.
Relaxe probablement logique lorsque l’on connaît les conditions précises d’application de ce délit.

En effet, le délit de non assistance à personne en péril impose notamment que soient démontrés que le péril était imminent et que la personne avait conscience de ce péril. Sans connaître les motifs de cette décision, il est probable que le Tribunal ait considéré que les amis n’étaient pas réellement conscients du péril qui visait leur ami…

Pour autant, un délit peut parfaitement être commis dans des situations similaires.
Ainsi, dans un arrêt du 25 avril 2002, la cour d’appel de Nancy a jugé que, après une soirée durant laquelle plusieurs personnes avaient consommé de très importantes quantités d’alcool, était fautif le fait de ne pas empêcher, par tous moyens, un de ses amis de reprendre la route en état d’ivresse.
La différence étant que dans cette affaire, le fait de prendre la route mettait en danger d’autres personnes et non uniquement leur ami…

Deuxième affaire: les policiers nantais


Dans une toute autre affaire, jugée le 26 février dernier par le Tribunal Correctionnel de Nantes, ce sont trois policiers qui ont été condamnés à de la prison avec sursis à la suite du décès d’un homme en état d’ébriété.

2 Police
Il était reproché aux trois fonctionnaires d’avoir laissé repartir, après un contrôle, un homme en état d’ivresse dans un quartier qu’il ne connaissait pas, alors que la procédure aurait normalement exigé que les policiers, constatant l’état d’ivresse de la victime, la conduise en cellule de dégrisement (l’article L3341-1 du code de la santé publique prévoit en effet que «une personne trouvée en état d’ivresse dans les rues, chemins, places, cafés, cabarets ou autres lieux publics, est, par mesure de police, conduite à ses frais au poste le plus voisin ou dans une chambre de sûreté, pour y être retenue jusqu’à ce qu’elle ait recouvré la raison»).

A la différence du cafetier, les policiers n’ont pas été poursuivis du chef d’homicide involontaire. Entre autres raisons, cela s’explique sans doute notamment par le fait qu’aucun élément ne prouvait de façon certaine un lien de causalité entre le décès de la victime et l’abstention fautive des policiers, le cadavre de l’homme ayant été retrouvé plusieurs jours après dans un canal de la ville.

Les policiers ont également échappé à des poursuites pour non assistance à personne en péril qui, comme pour les amis du client du bar, auraient probablement fait long feu au motif que les fonctionnaires n’avaient pas conscience de l’imminence du péril.

Les fonctionnaires ont en revanche été condamnés sur un fondement assez original, prévu à l’article 223-3 du code pénal : le délaissement.

Aux termes du Code pénal, «le délaissement, en un lieu quelconque, d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende».

Les contours de cette infraction - peu poursuivie à ma connaissance - sont assez larges et nombre de comportements pourraient ainsi tomber sous le coup de la loi, à commencer peut-être par celui des amis du client du bar…
Mais pour ce qui est des policiers, leur condamnation sur ce fondement tient probablement à deux raisons principales.

Tout d’abord, il doit être noté que ces policiers avaient menti sur le lieu où ils avaient laissé la victime : ils avaient affirmé aux enquêteurs l’avoir laissée dans une rue passante, alors qu’en réalité elle se trouvait dans un endroit isolé.
Outre le fait que ce faux témoignage soit sanctionné en tant que tel, cela semble montrer que les policiers avaient conscience du risque supplémentaire que la victime courait en étant laissée dans un endroit isolé plutôt que de fort passage…

Par ailleurs, la qualité de policiers a probablement joué en leur défaveur.
En effet, si le délit de délaissement peut s’appliquer à n’importe quel citoyen, il pèse sur les policier un devoir particulier de protection des personnes qui aurait dû imposer une vigilance particulière de leur part.

Bien évidemment, la conséquence d’une telle jurisprudence est qu’elle renforce la responsabilité des policiers qui constatent l’état d’ébriété d’une personne : pour eux, le risque à laisser repartir une personne ivre est réel et ils risquent donc de recourir plus systématiquement à des mesures de placement en cellule de dégrisement…

Cela peut représenter un danger supplémentaire pour la liberté des personnes concernées (rappelons en effet que les individus retenus en cellule de dégrisement ne disposent pas des droits accordés aux personnes placées en garde à vue) et risque également de se heurter à un manque de moyens des policiers…

Des décisions responsabilisantes


Si la loi française comporte plusieurs textes permettant de poursuivre une personne étant indirectement à l’origine d’un décès, ces décisions montrent en tous cas que les tribunaux font actuellement une très stricte application de la loi en ce qui concerne l’alcool.

Ces décisions apparaissent surtout de nature à responsabiliser les professionnels confrontés à des situations de consommation dangereuse d’alcool, comme les policiers, les discothèques ou les cafetiers.

Si la responsabilisation de ces professionnels semble compréhensible dans la mesure où ils ont un pouvoir concret pour prévenir le dommage (comme par exemple envoyer une personne ivre de force à l’hôpital ou ne plus lui servir à boire), un tel élargissement du champ des personnes susceptibles d’être responsables pose nécessairement la question de ses limites…
En d’autres termes, jusqu’où peut-on rendre les gens responsables de la sécurité d’autrui ?

Son client meurt après avoir trop bu.

Un an de prison ferme, et deux ans avec sursis, ont été requis contre le cafetier au tribunal correctionnel de Valenciennes.  Le drame s'est noué le 6 novembre 2008, en fin de journée.
Un homme de 35 ans se rend avec deux amis dans un bar à La Sentinelle (Nord), près de Valenciennes, où ils boivent d'abord chacun trois bières.
Le cafetier, âgé de 28 ans, parie ensuite avec l'un d'eux qu'il n'est pas capable de boire la purge (le fond, très acide, ndlr) d'un fût de bière. Le client le fait et le patron paye une tournée de genièvre.
La victime relève le pari: «Moi aussi, pour une tournée je suis prêt à boire n'importe quoi.»
Le cafetier lui sert coup sur coup trois verres de 25 cl : le premier, c'est du genièvre, le deuxième du calvados, le troisième de la vodka. Il boit d'un trait.
L'homme, qui se sent vite mal, est ramené chez lui peu avant 20 heures par ses deux amis qui le mettent au lit, l'un d'eux le veille de 21h à 23h.

L'homme sera retrouvé mort le lendemain matin.

Une analyse sanguine a révélé un taux de 5,1 g d'alcool par litre de sang.
Le cafetier comparaît ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Valenciennes pour homicide involontaire. Les deux autres clients qui accompagnaient la victime doivent également comparaître pour non assistance à personne en danger.

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